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HISTOIRE MODERNE
nous disent assez bien ce que devait &tre la societ& fran-
caise avant le gouvernement personnel de Louis XIV,
Bien que lettree et fort galante, elle ne s’etait point
depouillee encore d’une empreinte semi-hbarbare : sous
les dehors d’une politesse poussee parfois jusqu’au raffine-
ment, il n’etait point rare de retrouver les moeurs naive-
ment feroces du moyen äge. La noblesse, toujours pas-
sionnee pour la guerre, aimant le danger pour le danger,
allant au feu avec une bravoure insouciante qui faisait
dire aux Italiens « que les Francais couraient ä la mort
comme s’ils devaient ressuseiter le lendemain », gardait,
une fois rentree dans ses foyers, l’humeur agitee et bru-
tale des camps. Ne pouvant plus se battre contre les enne-
mis, les plus grands seigneurs se battaient entre eux. Le
duel faisait toujours fureur, meme apres l’execution de
Bouteville et de Chapelles, et malgre les menaces de
Richelieu, qui demeurerent impuissantes. On se battait
pour les motifs les plus futiles : un gentilhomme en
provoqua un autre parce qu'il l’avait loue de sa grande
memoire, et qu'il avait oui dire que c’etait.marque de
peu de jugement. Ces duels revetaient parfois toutes les
eirconstances de l’assassinat; on fondait sur son adver-
saire sans lui donner le temps de degainer , ou bien trois
ou quatre contre un; ou encore pendant l’action, pour
degager leur maitre, des laquais venaient par derriere
transpercer son rival.
Les femmes encourageaient cette brutalite& des moeurs
en accordant leurs faveurs & celui qui avait couche le
plus de braves sur le terrain; elles-memes savaient ä
Voccasion. manier l’&pee, et l’on se rappelle le röle
bruyant que de hautes dames jouerent dans la Fronde.
Les graves magistrats n’avaient pas non plus grande
horreur du sang. Les ecclesiastiques pouvaient se battre
sans que leur reputation en füt trop serieusement
atteinte, Paul de Gondi, avant d’&tre coadjuteur, mais
deja en soutane, avait eu plusieurs duels; on les lui
pardonnait facilement. Ev&que, coadjuteur, et sur le
point d’&tre nomme cardinal, pendant la Fronde, il n’al-
lait au Parlement que bien arme; Beaufort, le roi des