L’EMPIRE GREC. 91
un bäton & la main et un sayon de poil de ch&vre sur l’epaule,
avec quelques pains noirs, venaient chercher fortune dans la
villa imperiale. Comme ils 6taient grands et bien tourn6s, un
recruteur les enröla dans la milice du palais, oül ils firent tous
trois leur chemin. L’un d’eux fut l’empereur Justin, qui, de
grade en grade, 6tait devenu commandant superieur de ces
memes milices palatines olı il avait 6t6 simple soldat. A 1a mort
d’Anastase, le grand chambellan, voulant faire pencher le choix
de l’arm6e vers une de ses creatures, remit & Justin une grande
somme d’argent pour la distribuer aux soldats : Justin la prit,
la distribua, fut Iui-meme proclame Auguste, et l’on rit beau-
coup du tour que le capitaine des gardes avait jou6 au grand
chambellan. Quand Justin eut sa fortune faite, il appela pres
de Iui sa seur Böglenitza, femme d’un paysan nomme Istok, et
leur fils Upranda, qu’il voulut 6lever comme sien, car il n’avait
pas d’enfants. Les trois campagnards deposerent, en meme
temps que leur costume illyrien, leurs noms, qui auraient par
trop 6gayG la haute societ6 de Constantinople; on leur donna
des noms latins sonores, on leur fabriqua meme une gengalogie
qui Jes faisait descendre de la noble famille des Anicius. En
vertu de ce baptöme latin, Beglenitza devint Vigilantia; Istok,
Sabbatius et Üpranda prit ce nom de Justinianus qu’il a su
rendre immortel.
» Le pätre de l’Hemus n’avait pas regu dans son enfance une
education bien soignee, s’il est vrai, comme le raconte Procope,
qu'il ne pouvait signer son nom qu a 1’aide d’une lame d’or 6videe
dont il suivait les traits avec sa plume; en tout cas, il voulut
qu'il en füt tout autrement de son neveu, Le jeune Upranda
regut les meilleurs maitres en toutes choses, et les 6tonna par
l’activit& insatiable et l’universalit& de son intelligence : 6lo-
quence, po6sie, droit, theologie, art militaire, architecture,
musique, il voulut tout savoir et sut tout, Cette 6ducation ne
prit tout son düeveloppement que lorsque Justin fut devenu
empereur. Justinien avait alors trente-cinq ans. Mais, au plus
fort de cet enfantement de son genie, une passion, plus pro-
fonde encore que celle du savoir, vint maitriser son cur : il
s’6prit de la danseuse Th6odora, qui 6tait alors la fable de Con-
stantinople. Quelles que fussent les representations de sa möere,
les refus de son oncle, les prohibitions memes de la loi, qui
defendait de tels mariages, les com6diennes 6tant reput6es per-
sonnes infämes, Justinien voulut l’6pouser et son ardente