LES BARBARES, 23
chevaux blancs 6taient attel6&s A son char, et les t&moins de ce
qui se passait au fond du sanetuaire payaient ensuite de la vie
ce privilege : on les noyait dans un lac consacr6. L’Allemagne
du moyen äge et celle de nos jours ont garde de curieuses
traces du culte meme qui 6tait r6serv6 aux arbres, On remarque
aujourd’hui, sur les places de beaucoup de villes allemandes,
surtout dans le Nord, des statues dites de Roland. Eiles repre-
sentent en effet le neveu de Charlemagne tenant en main sa
bonne 6pee. Par quelles voies le souvenir du paladin a-t-i}
domin6 de la sorte dans une contr6e si Eloignee de la scene do
ses exploits? On a pens6 que la Jegende de Roland n’avait eu
d’autre raison de paraitre ici qu'une simple confusion de noms.
Les seigneurs feodaux, des le commencement du moyen äge,
avaient suspendu aux troncs de certains arbres le bouclier et
l’epee, signes de haute justice. C’6tait 1A qu'ils faisaient ex6-
outer leurs sentences, de maniere que le sol, tout A l’entour,
avait pris le nom de ferre rouge, c’est-ä-dire arros6e de sang,
rothes-land; 1a ressemblance de ce dernier nom avec celui de
Roland expliquerait toute l’enigme. Quant aux arbres de jus-
:ice, ils avaient eux-m6emes remplac6 des arbres que consacrait
une antique tradition religieuse.
» Rien d’etonnant si, du milieu de cette Germanie hostile,
de terribles visions s’etaient dressees au-devant des Romains
envahisseurs. Ils avaient franchi les premicrs obstacles ä la
voix de leurs chefs, et s’6taient courageusement avanc6s au
iravers du pays inconnu; mais, quand ils parvinrent aux rives
de l’Elbe et qu'ils s’appreterent a le franchir, le jeune et ardent
Drusus, fröre de Tibere, qui les commandait, vit apparaltre en
avant du fleuve une femme d’une taille plus qu’humaine; elle
ui dit en langue latine, suivant l’expresse et naive remarque
de Suctone, que son insaliable ambition devait avoir un terme,
qu'il 6tait parvenu & la fin de sa course et & 1a fin de sa vie,
Quelques jours apres, Drusus, qui 8’6tait immediatement resigne
au retour, tomba de cheval, se blessa et mourut. Nul ne douta
dans l’armöe que 1a Germanie ne lui eüt apparu elle-möme pour
defondre l’acces de ses solitudes et revendiquer son indepen-
dance!, » (A. Gurrroy®?, Rome et les barbares, in-12; Paris,
1874, Perrin et Cie.)
1. Apres avoir construit quelques places et une ligne fortifide qui devait plug
lard aller d’Augsbourg & Cologne, les legions se relirerent derriere le Rhin, On