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puis publiait son Thesaurus linguz greca (1572), qui
devait servir ä les interpreter. Son pere, Robert, un grand
erudit egalement, avait deja donne, en 15392, le Thesau-
rus linguz latinz,
La jeunesse francaise courut & l’etude de V’antiquite
avec Vardeur qu'elle aurait mise A se precipiter sur un
champ de bataille, chacun voulant s’enrichir de ses tre-
sors, S’orner de ses depouilles, et ne croyant plus rien de
bon « s’iln’yapparaissait quelque vestige de rare et antique
erudition ». Une association litteraire, la brigade, devenue
plus tard la pidiade, conduite par le celehre Ronsard,
se distingua dans cet impetueux assaut : on y lisait les
Latins et les Grecs le jour, on les lisait la nuit et quand
Ronsard n’en pouvait plus de sommeil, il passait la
chandelle ä du Bellay ou ä du Bartas, pour ne pas laisser
refroidir la place.
Cette fermentation des esprits devait profiter au siecle
suivant et se traduire par une riche moisson de chefs-
d’ceuvre. Pour Vinstant, elle demeura quelque peu ste-
rile, parce qu’'en France, comme en Italie, on ne sut pas
garder la juste mesure : l’imitation grossiere et servile
degenera en manie et finit par le ridicule. Ronsard em-
pruntait aux anciens non seulement leurs idees, leurs
genres, leurs regles, mais encore leurs mots, et « sa
muse pedantesque » en francais parla grec et latin; Baif,
pour ennoblir la langue, la rendait d’une pesanteur des-
esperante et s’ingeniait ä la doter de comparatifs et de
superlatifs latins. Les imitateurs enthousiastes de l’anti-
quite ont eu parfois d’heureuses inspirations, de beaux
vers, mais seulement lorsqu’ils ont oublie l’antiquite.
Les seuls ecrivains du xvı® siecle qu’on lise encore
aujourd’hui sont des prosateurs qui, sans rester etran-
gers au grand mouvement qui emportait tout vers les
anciens, ont su rester eux-mömes et garder leur origi-
nalite. Au premier rang viennent Rabelais (1495-1553),
ce fou sage, qui, dans sa Chronique de Gargantua et de
Pantagruel, a trouve moyen de dire mille verites utiles
sous le dehors du cynisme et de la trivialit&, et Mon-
taigne (1553-1592), qui, dans ses Essais, ot l’on re-